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Les dames du harem

La vérité sur les harems égyptiens

Harem… Voilà un mot porteur de fantasmes, peuplé de sultans libidineux, de jeunes femmes lascives éduquées pour satisfaire les désirs du mâle. L’égyptologie a eu la malencontreuse idée de choisir le terme « harem » pour désigner une institution majeure de l’État pharaonique, à la fois rituelle, éducative et économique, sans aucun rapport avec les prisons pour femmes du monde musulman[138].

La confusion vient de la signification du terme égyptien kheneret, « lieu clos, endroit fermé », que certains érudits ont aussitôt traduit par « harem », puisque s’y trouvaient des communautés féminines. Mais celles-ci n’étaient pas formées de recluses et célébraient des rites pour la divinité protectrice du harem, par exemple Amon, Min, Hathor, Isis ou Bastet. Le caractère fermé du « harem » égyptien, puisqu’il faut continuer à l’appeler ainsi par habitude dite « scientifique », est lié à son aspect secret. De plus, le terme khener signifie aussi « faire de la musique, tenir le rythme », et nous verrons que l’enseignement musical était, en effet, l’une des fonctions des harems d’Égypte.

Disciples de la déesse Hathor, les prêtresses qui y vivaient assuraient rituellement la survie de l'âme et l’irrigation de la terre par l’énergie céleste. C’est une « Vénérable (shepeset) » qui est à la tête du harem, et la supérieure de tous les harems n’est autre que la reine. En tant qu’« épouse du dieu » et souveraine de toutes les prêtresses du royaume, elle dirigeait l’ensemble de ces institutions, se préoccupait des programmes éducatifs, nommait les enseignants, veillait à la bonne santé économique des établissements et au juste déroulement des rites. Dans chaque harem, une chargée de mission représentait la reine, soit comme directrice déléguée, soit comme assistante d’un directeur, souvent un chef de province ou un grand prêtre.

Il faut imaginer un harem comme une petite agglomération, avec des services administratifs et de nombreux ateliers ; l’institution disposait de revenus fonciers, des provisions lui étaient fournies par ses propres domaines. Mer-Our, le grand harem du Fayoum, disposait d’une réserve de chasse et de pêche.

Appartenir à l’administration d’un harem était fort prisé et ouvrait le chemin de brillantes carrières au service de l’État. Des personnages d’une grande stature, tels que le grand prêtre d’Amon, Hapouseneb, ou les vizirs Rekhmirê et Ramosé, y firent leurs gammes.

Au Nouvel Empire, la direction des harems fut parfois confiée à des femmes, épouses de grands prêtres d’Amon. Les dames du harem semblent d’ailleurs avoir exercé une influence non négligeable, lors de la nomination des hauts dignitaires du clergé thébain.

Au premier rang des activités artisanales du harem figurait le tissage, qui avait pour but de fournir au temple les vêtements indispensables au culte et d’illustrer le processus de la création, en rapport avec la déesse Neith. Cette dernière n’avait-elle pas tissé le monde, à la fois par la main et par le Verbe ? Les femmes fabriquaient aussi des objets de toilette, comme des coffrets ou des pots à fards.

Qui était admis au harem ? De hauts fonctionnaires, des administrateurs, des artisans, des serviteurs, bref toute une population d’hommes et de femmes formant une microsociété. Les reines et les épouses « secondaires » y faisaient volontiers élever leurs enfants, qui y recevaient une éducation de qualité. Moïse, fils d’une dame de la cour, aurait découvert la sagesse des Égyptiens dans le pensionnat d’un harem. De futures prêtresses bénéficiaient du savoir des professeurs. L’endroit était si paisible que de hautes personnalités venaient y passer leurs vieux jours ; il est probable que la grande reine Tiyi mourut au harem de Gourob, un paradis sur terre, où elle s’était retirée.

Hôtes privilégiés des harems, les étrangères venues habiter en Égypte au titre d’« épouses diplomatiques » de Pharaon. Garantes de la paix et de l’amitié entre l’Égypte et leur pays d’origine, elles avaient droit à un traitement de faveur : belle demeure, domesticité nombreuse, existence dorée pour faire oublier l’exil.

Les dames du harem apprenaient à jouer de plusieurs instruments de musique, luth, harpe, flûte, lyre, etc., sans omettre de s’initier au chant et à la danse. Ces arts avaient une fonction magique ; par l’harmonie, ils écartaient les forces négatives et rassemblaient les puissances positives. Par la musique, l’âme s’élève jusqu’au divin, l’être entier est sublimé. Bien que l’on n’ait pas encore réussi à identifier la notation musicale en Égypte ancienne, à supposer qu’elle ait existé, on ne soulignera jamais assez l’omniprésence de la musique dans les rites et dans le quotidien.

Une inscription de la tombe de Mérérouka, à Saqqara, datant de l’Ancien Empire, dévoile « le secret des femmes du harem » : il s’agit d’une danse rituelle à laquelle participent sept femmes, divisées en deux groupes, le premier de trois danseuses, le second de quatre. Elles incarnent sur terre la danse de l’Univers, à laquelle prend part Pharaon lui-même, lorsqu’il évolue devant Hathor, la patronne des initiées du harem.

Un harem à Louxor ?

Certains auteurs parlent du temple de Louxor comme du « harem du Sud » ; l’expression est si ambiguë que l’on a imaginé que ce château divin abritait de superbes jeunes filles prêtes à séduire Pharaon. Au risque de décevoir les amateurs de scènes émoustillantes, le temple de Louxor n’ouvrit ses portes qu’à d’austères ritualistes, chargés de capter l’énergie divine et de la faire vivre sur terre.

La confusion vient d’une mauvaise traduction du terme égyptien ipet, qui ne signifie pas « harem », mais « le lieu du nombre ». À Louxor, temple du ka royal, était dévoilé le mystère de la création, qui se compose d’un ensemble de « nombres », de caractéristiques propres à chaque être créé. Ipet est aussi le nom d’une déesse qui s’incarne dans l’hippopotame femelle ; c’est dans son sanctuaire de Karnak qu’Osiris était remembré et ressuscité. À Dendera, « la demeure d’Ipet » était un temple d’Isis où se célébraient également les grands mystères de la résurrection d’Osiris.

Le complot du harem

L’un des épisodes les plus sombres de l’histoire égyptienne est connu sous le nom de « complot du harem », lequel visait à assassiner le pharaon Ramsès III (1184-1153), le bâtisseur de Medinet Habou et le sauveur de l’Égypte, puisqu’il avait repoussé de redoutables envahisseurs, « les peuples de la mer ».

Pourquoi ce drame ? Le harem royal avait accueilli beaucoup de princesses étrangères, dont certaines passaient le plus clair de leur temps à ourdir des intrigues.

La plupart demeurèrent inoffensives. Mais l’une d’elles prit une telle ampleur qu’elle fut enregistrée dans les archives royales et nous est parvenue, avec quelques détails, grâce au papyrus juridique de Turin.

Dans ce document, Ramsès III s’adresse à son successeur Ramsès IV pour lui expliquer les modalités du complot qui avait troublé les dernières années de son règne et le mettre en garde pour l’avenir. L’instigatrice de la fronde était une concubine royale, Tiy, qui désirait faire monter sur le trône son fils, le prince Pentaour, que Ramsès III avait décidé d’écarter du trône. Déçue et haineuse, Tiy avait pris la pire des décisions : supprimer le pharaon régnant en utilisant la magie noire. Prenant comme principal acolyte un homme dont le nom était « l’aveugle » (sobriquet qui lui fut donné comme châtiment, au cours du procès, après suppression de son véritable nom), elle lui demanda de réunir le maximum de conjurés. Parmi eux, un général, deux scribes, un magicien, un grand prêtre de Sekhmet, un administrateur du Trésor, un intendant royal, plusieurs hauts fonctionnaires du harem, et six femmes servant d’agents de liaison.

Malgré l’étendue des ramifications, la manœuvre échoua. Les conjurés furent identifiés et arrêtés, et comparurent devant des juges. Le procès commença de manière lamentable, car deux magistrats furent convaincus de collusion avec les accusés ! En revanche, le second procès permit à des juges intègres de rendre enfin la justice. Bien que l’horrible machination eût échoué, ils estimèrent que l’intention de supprimer Pharaon et la pratique de la magie noire étaient des crimes d’une gravité exceptionnelle. Le prince Pentaour, dont la complicité avec sa mère avait été prouvée, fut reconnu coupable ; « ils le laissèrent à l’endroit où il se trouvait, et il supprima lui-même sa propre vie ». Quant à Tiy, l’âme du complot, on ignore le sort qui lui fut réservé.

 

Les égyptiennes
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